Ephren Val'Naïr ~ Le Prince Consort

Les flocons mêlés aux larmes d'Elfina finissaient leur chute sur mon corps presque inanimé. Je me sentais partir mais à chaque fois que je pensais rendre mon dernier souffle, un influx d'Essence me ramenait sur Altheria. Ces vas et viens entre le royaume des morts et celui des vivants m'étaient insupportables. Tantôt la vue me revenait, tantôt les ténèbres m'étreignaient. Tantôt je ressentais le froid du vent et de la neige, tantôt plus une seule parcelle de mon corps ne m'appartenait. Quand est-ce que je serai délivré de ce tourment ? Combien de temps Bianh pouvait-il me tenir ainsi en vie ? Bien qu'il soit un puissant Alfeïd, son Essence finirait bien par lui manquer. Mon heure était venue.

"Elfina, donne-moi mon poignard s'il te plait."

Alors que la pointe de la lame vint ouvrir un peu plus la plaie que m'avait laissée la flèche d'un opposant aux Chimères quelques minutes plus tôt, aucune douleur ne se fit sentir. Mon corps était bien trop épuisé pour ressentir quoi que ce soit.

"Mais qu'est-ce que tu fais Bianh ?"

La Chimère agenouillée au-dessus de moi continua son entreprise sans mot dire. Je n'avais plus vraiment conscience de ce qu'il se passait au point même qu'avoir une large entaille dans le poitrine et le cœur pratiquement à l'air libre ne me choquait guère plus que ça.

"Elfina... Notre temps est révolu. Je crois au fait que seuls les Hommes peuvent sauver les Hommes. Accompagne Ephren, il aura besoin de toi pour cela."

Surprise sur le moment, la créature de Naliwë s'arrêta net dans sa volonté de répondre. La bouche ouverte elle resta muette. Elle savait qu'il avait raison. Du moins, elle partageait son avis. Il est vrai qu'après des centaines d'années ils n'ont jamais pu autant changer les mœurs des Agua que depuis qu'Ephren les accompagne. Le groupe pro-Chimère qu'ils ont monté ensemble ne serait pas le même sans son fondateur. Et puis, Ephren les a sauvés plus d'une fois. Bianh ou elle lui devait bien ça.

"Fais ce que tu as à faire, je prends le relais."

Elfina imposa à son tour ses mains près de mon cœur blessé alors que Bianh ferma les yeux tout en joignant ses mains. Les nuages et les flocons de neige laissèrent place à la lumière sélène comme pour accompagner la prière de Bianh. Ses paroles indistinctes me firent penser aux berceuses que l'on me chantait petit pour m'endormir. L'effet fut même similaire : à chaque parole je me voyais partir un peu plus dans l'autre monde. Après tout, s'endormir, mourir, quelle différence ?

Tout devint flou, un son sourd bourdonna dans mes oreilles, mes poumons devinrent si lourd qu'il ne m'était plus possible d'inspirer ne serait-ce qu'une bribe d'air. Pourtant déjà allongé au sol je finis par me sentir chuter vers l'arrière, sans fin, comme si mon âme se dépouillait de sa prison charnelle.

"Bianh ! Il est en train de partir !"

La réaction du grand homme ne se fit pas attendre : "Analiwë mes chers amis." furent les derniers mots qu'il prononça avant que tout son être ne s’incarne en eau. Certainement l'eau la plus pure d'Altheria. Une eau emplit de toute l'Essence de la Chimère. Une eau pleine de vie qui, grâce à Elfina, s'infiltra par l'entaille que Bianh m'avait faite afin de rejoindre mon cœur. Elle vint remplacer la fine pellicule de liquide qui entoure chacun de nos organes. De là ses propriétés régénérantes débutèrent : une étrange force partant de mon cœur qui battait de nouveau normalement diffusa à travers tout mon corps. Ma chute dans cet étrange vide virtuel s'arrêta aussitôt. Et bien que les paupières fermées, une vive lumière blanche m'éblouit de la même manière que lorsque l'on sort d'un long et obscur tunnel. Mon souffle, rauque et profond comme celui des nouveau-nés, revint lui aussi. Je revivais.

Quelques secondes passèrent avant que je ne me réapproprie mon propre corps. Lorsque mes forces étaient suffisamment revenues, j'entrouvris les yeux, et me relevai légèrement en m'appuyant sur mes avant-bras. Elfina, à peu près à ma hauteur, agenouillée, me toisait de ses yeux humides. Nos regards se perdirent l'un dans l'autre. J'y vis dans le sien un mélange de tristesse, d'amertume, mais aussi d'espérance et de soulagement. Le sacrifice de Bianh pour ma survie ne pouvait la rendre indifférente même si elle est une Chimère. Contrairement à ce que la majorité des Hommes pensent d'eux ces êtres ne sont pas si différents de nous, ils ressentent aussi beaucoup d'émotions...

"Je suis désolé Elfina, je ne souhaitais pas que Bianh me fasse ce cadeau..." finis-je par lancer la gorge nouée. "Ce n'était pas un cadeau. Nous avons tous un rôle à jouer. Bianh devait te sauver. C'était sa destinée." répondit-elle tout en décochant un discret sourire désenchantée comme pour me rassurer. Elle leva la tête vers les cieux avec ce même sourire, pris une grande inspiration et redirigea son regard vers moi. Me voyant toujours en proie à la culpabilité, elle posa sur ce qui ressemblait maintenant à une vilaine cicatrice, sa paume, laquelle était aussi froide et claire que la neige mais paradoxalement tout aussi réconfortante que la chaleur d'un bon feu de bois. Puis elle reprit : "Bianh n'est pas vraiment parti il est plus que jamais là, dans ton cœur, physiquement."

Un lointain brouhaha nous rappela que d'autres détracteurs des Chimères pouvaient surgir à tout moment. Avant de me relever, je posai ma main sur celle qu'Elfina avait posée au niveau de ma poitrine. Les vibrations des battements de mon cœur traversaient nos deux mains. Ces derniers semblaient si particuliers. Chacune des pulsations dégageait une telle force que ni Elfina ni moi pûmes nous empêcher d'y voir là l'œuvre de Bianh. Le temps sembla se suspendre. Un moment de mélancolie et de nostalgie où défilaient tous mes meilleurs moments passés avec feu mon ami Chimère. Un moment que j'aurais aimé continuer de vivre, mais que les partisans anti-chimères se rapprochant dangereusement ne permirent pas.

C'est le cœur lourd mais plus fort que nous repartîmes d'un pas hâté vers la capitale.

Félicitations, ta présentation est validée !

Ton idée de Bianh est juste géniale ! Plus qu'à sauver le monde mon cher Ephren

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